"Me
voici face au monde et face à moi-même pour une longue course à
travers le temps, l'espace et les hommes. Dans mon univers, la vie
est action et j'engage tout mon être dans le tourbillon de la grande
spirale du monde.
Si
la route a donné un sensa ma vie, je vais une nouvelle fois
m'enfoncer à pleins poumons dans l'existence; avancer pour le simple
plaisir d'avancer et d'être en phase avec l'univers qui m'habite et
celui qui m'entoure. Des crises d'apnée me guettent plus loin.
Je
suis en route vers un monde d'idées et de vérités qui seront
probablement différentes des miennes. Pour assurer ma survie au
cours des nombreuses rencontres qui se dresseront sur mon chemin, il
va me falloir adapter ma perception de la vie, affronter des vérités
différentes des miennes afin d'étendre mon champ de connaissances
sur l'homme, dans son contexte historique et culturel.
(…)
J'ai
étudié plusieurs religions et sectes dans l'espoir d'en trouver une
qui puisse survivre à une analyse critique, mais je n'ai rien
trouvé. À cette époque, j'aurais volontiers accueilli la paix et
le contentement de croire en quelque chose. J'ai continué à lire
sur l'expérience mystique de l'illumination, de “naître de
nouveau”, de la “communauté avec Dieu” et de la “vie sur le
plan spirituel”; je suis devenu frustré que cela ne m'arrive pas à
moi.
J'ai
essayé de la provoquer artificiellement avec des drogues pour être
comme ceux qui “en” avaient vécu l'expérience. Il m'a fallu du
temps pour accepter que cela n'allait pas m'arriver et que je devais
plutôt me concentrer sur ma vie matérielle mortelle et essayer d'en
tirer le meilleur parti. La “communion avec Dieu” n'existait tout
simplement pas dans l'univers auquel j'avais accès dans
l'environnement carcéral des villes.
En
revanche, j'ai découvert très tôt que tout ce que nous savons ne
concerne que le modèle d'univers que nous avons tous construit dans
notre tête, et que de tels modèles peuvent être bien différents
de la réalité qui se trouverait quelque part à l'extérieur de
nous. Par conséquent, ce qui existe dans un univers connu peut être
absent d'un autre... Ce qui semble vrai dans mon monde pourrait être
faux dans celui de quelqu'un d'autre.
Je
trouve ce concept très satisfaisant car il me permet de penser que
je suis au centre de l'univers que je connais, et que tous les autres
sont au centre du leur. Cela élimine le problème de déterminer qui
a la perception correcte de l'univers.
Maintenant
je peux échanger des visions de l'univers avec n'importe qui et ne
jamais me sentir menacé par des perceptions contraires au miennes.
C'est devenu un passe-temps pour moi de discuter de ma perception
personnelle avec ceux qui reconnaissent q ue leurs vues sont
également subjectives. J'ai appris à simplement écouter ceux qui
croient détenir “l'unique et absolue vérité” sans me
préoccuper de donner ma propre vision des choses, qui pourrait être
perçue comme une menace à “leur vérité”, car je ne suis pas
enclin à jouer le jeu de savoir qui a raison et qui à tort.
Je
n'ai donc plus besoin d'avoir raison par ce que personne ne peut
“avoir raison” de façon absolue. Ce qui importe vraiment pour
moi maintenant, c'est de reconnaître ceux avec qui j'ai assez en
commun pour pouvoir en arriver à un consensus opérationnel sur
lequel on peut construire quelque chose ensemble. L'échange de
points de vue avec des esprits ouverts qui n'ont pas de prétention
sur la vérité absolue a probablement été la principale motivation
de mes voyages au cours de la dernière décennie.
J'ai
pris du plaisir à découvrir plusieurs univers à travers les yeux
des autres. Certains m'ont semblé raisonnablement probables parce
qu'ils étaient semblables au mien. D'autres m'ont paru intéressants,
mais improbables, car je n'ai pu leur trouver aucune évidence dans
l'univers que je connais. J'en suis venu à penser en termes de de
probabilité au lieu de vrai ou faux., un peu comme les météorologues
parlent maintenant de soixante-dix pour cent de probabilité de pluie
plutôt que d'annoncer la pluie pour demain, comme ils le faisaient
il y a trente ans.
Cette
manière de penser me permet de donner une valeur à tous les
concepts que je rencontre et que je peux comprendre. Je considère
certains concepts comme étant extrêmements probables, tels que ma
mort éventuelle, et d'autres comme étant très improbables, par
exemple la vie éternelle de mon âme. Tous les concepts que
j'examine peuvent être échangés contre des versions alternatives
plus satisfaisantes car je ne connais pas de vérités absolues. Je
pense que ce que j'appelle mon univers n'est que l'une des nombreuses
approximations tout aussi imparfaites de la réalité. aussi je ne le
prends pas trop au sérieux.
Courir
le monde comme je le fais depuis fort longtemps, c'est aller au
devant d'autres univers; démontrer qu'il est possible de s'intégrer
dans tous les pays et toutes les sociétés; qu'un monde fraternel et
respectueux d'autrui est envisageable."